Estelle Roumage au Château Lestrille : Le Vin en Héritage, le Monde en Bagage

Oubliez l’image du château bordelais isolé au sommet d’une colline, veillant sur ses vignes. À Saint-Germain-du-Puch, le Château Lestrille vit au rythme du bourg, ses chais ancrés au cœur du village. Une singularité à l’image d’Estelle Roumage, cinquième génération d’une lignée de vignerons, qui insuffle à ce domaine familial une énergie nourrie par ses racines profondes et ses explorations lointaines.

Les Racines Profondes et l’Appel du Large

L’histoire du Château Lestrille commence bien avant Estelle, en 1901, avec son arrière-arrière-grand-père. Pour elle, le vin a toujours été là, une présence naturelle, presque innée. « C’est un peu comme dans une famille d’artistes où l’art est un peu partout, » confie-t-elle. Un écho sensoriel puissant de son enfance reste « cette odeur d’humidité, de terre humide » du cellier où elle suivait son grand-père le dimanche. Pourtant, malgré cet ancrage, l’adolescence a semé en elle une autre graine : celle du voyage. « Je n’avais qu’une envie, c’était de partir explorer le monde, » se souvient-elle.

Le Monde dans un Verre, le Verre comme Boussole

Cette soif de découverte la mènera sur les bancs d’une école de commerce, puis en Angleterre – à Hull d’abord, avant de travailler pour un importateur à Londres – et enfin à Madrid. C’est à Londres, au tournant des années 90, qu’elle est témoin de l’arrivée des vins du « Nouveau Monde ». Une rencontre marquante avec des vins chiliens « qui [lui] paraissaient vraiment délicieux » l’interpelle. Elle veut comprendre, « essayer de voir ce qu’il faisait, comment il faisait dans ces bodegas là-bas. » Si le Chili restera finalement une destination rêvée, cette curiosité la pousse à apprendre l’espagnol à Madrid, où elle restera quatre ans.

Le voyage la conduit ensuite jusqu’en Nouvelle-Zélande pour une expérience de vinification marquante. Car l’exploration n’était pas qu’une fuite, c’était aussi une quête.

Retourner à Lestrille, Réinventer Lestrille

Quand Estelle revient il y a 25 ans pour reprendre le flambeau familial, son sac est rempli d’expériences, d’idées, d’une vision élargie. Elle décide notamment de développer la vinification en blanc, s’inspirant de ce qu’elle a appris aux antipodes. « Ça a fait un petit peu peur à papa au départ, » glisse-t-elle avec amusement. Mais l’intuition était bonne. Le domaine de 33 hectares, autrefois axé sur le rouge et le rosé de clairet, trouve un nouvel équilibre : « on produit un petit peu plus de la moitié maintenant de nos bouteilles en blanc et rosé et l’autre moitié en rouge. » L’ouverture sur le monde se traduit aussi dans la commercialisation : alors que son père avait bâti une solide clientèle particulière en France, Estelle développe l’export, qui représente aujourd’hui « à peu près les deux tiers » des ventes et la boutique.

Au-delà des Étiquettes : La Signature d’Estelle

On lui a souvent posé la question, surtout à ses débuts : « Alors, qu’est-ce que c’est qu’un vin de femme ? » Une interrogation qu’Estelle écarte poliment mais fermement. Pour elle, un vin n’a pas de genre, il a une origine, une âme. La sienne se trouve dans le respect scrupuleux du vivant, l’attention portée à la biodiversité, et cette quête constante d’exprimer le meilleur de chaque parcelle. « Chaque parcelle est différente, » martèle-t-elle. Le secret ? Passer du temps dans les vignes, goûter les raisins, guetter le moment parfait pour vendanger. « C’est magique de voir comment ça évolue et ce qu’on peut arriver à faire avec ces raisins là. »

Ce souci du détail et cette envie de partage se retrouvent jusque dans les innovations récentes, comme ce jus de raisin pétillant lancé l’an dernier. Une façon, dit-elle, de permettre « aux personnes qui ne voulaient pas boire d’alcool [d’avoir] aussi le droit de faire la fête et d’avoir des bulles dans un verre. » Même les étiquettes ont été repensées, racontant, à la manière d’une toile de Jouy, l’histoire de la famille, son lien à la nature et à la vigne.

Au Château Lestrille, Estelle Roumage n’a pas simplement hérité d’un domaine. Elle l’a écouté, l’a emmené voyager, l’a enrichi de ses découvertes, pour offrir aujourd’hui des vins qui lui ressemblent : ancrés et ouverts, précis et vivants. Une invitation à la découverte, au cœur de Saint-Germain-du-Puch.

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