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L'interview matinale

Patrick Faure : leçons d’un voyage à vélo jusqu’à Venise

micMathieu Romaintoday25 septembre 2025

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    Patrick Faure : leçons d'un voyage à vélo jusqu'à Venise Mathieu Romain


Patrick Faure, ou l’art de dérouler le monde à la vitesse de l’âme

Il y a des histoires qui commencent par un grand bruit, et d’autres par un simple murmure, un « non » tranquille opposé à l’évidence. Celle de Patrick Faure appartient à la seconde catégorie. Le point de départ n’est pas une ligne de départ, mais le souvenir d’un siège d’avion. Un trajet pour Venise, quelques années plus tôt. Pratique. Efficace. Et terriblement vide. C’est de ce vide qu’a germé l’idée, une pensée presque silencieuse : la prochaine fois, ce sera autrement, ce sera à vélo.

Lorsqu’il s’exprime, Patrick n’a pas la voix d’un athlète ou d’un aventurier de l’extrême. C’est une voix posée, dont le rythme calme semble déjà épouser celui d’un long trajet. Il y a un sourire dans ses intonations lorsqu’il avoue, sans l’ombre d’une forfanterie, être parti le 28 avril dernier sans le moindre entraînement. « Est-ce que tu t’es entraîné ? Non. Est-ce que tu l’as déjà fait ? Non. » Ces négations, livrées avec une légèreté désarmante, ne sont pas des aveux de faiblesse, mais la fondation de sa philosophie : se rendre disponible à l’imprévu.

À l’aube de ses 70 ans, il n’a donc pas enfourché un vélo pour battre un record, mais pour retrouver quelque chose. Peut-être l’écho de ce « vagabondage de jeunesse » où, à vingt ans, on partait sans carte ni certitude, avec pour seul GPS la confiance en sa bonne étoile. Ce voyage vers Venise, c’est d’abord cela : une rébellion douce contre l’hyper-planification de nos vies, une tentative de rouvrir un espace pour l’accident, pour le hasard. Pas de smartphone connecté, pas d’itinéraire optimisé, juste une vague direction et la promesse d’emprunter « le chemin le plus beau », celui qui remonte le Lot, traverse les gorges de l’Ardèche et se hisse vers les Alpes.

Pédaler seul, pendant des heures, des jours. L’expérience se mue en une forme d’ascèse, une « apprentissage de la solitude ». On imagine le silence, seulement peuplé par le cliquetis du dérailleur et le souffle du vent. Dans ce vide sonore, l’esprit s’emballe. Un « petit vélo dans la tête », comme il le décrit joliment, qui tourne à la même vitesse que les roues. Des chansons oubliées, des cantiques d’enfant de chœur, et puis cet état étrange, au-delà de la pensée, où il se surprend à « rêver éveillé ». C’est là, dans ce flottement de la conscience, que le voyage physique devient une aventure intérieure. Le corps avance, l’esprit dérive.

La solitude n’est pas qu’une méditation. Elle est aussi une épreuve. On le sent au léger changement de ton lorsqu’il évoque ce col en Italie, interminable, gravi sous la pluie et dans le brouillard. Sans les panneaux rassurants de la France qui égrènent les kilomètres et les pourcentages, la montée devient un monstre abstrait. La fatigue physique rencontre le doute. L’envie de pleurer. L’envie de tout lâcher. C’est dans ces moments que le voyageur se dépouille de ses certitudes. Il n’est plus un homme qui fait du vélo ; il est une « âme errante dans un désert vert et humide », un être réduit à sa plus simple expression de volonté.

Mais la récompense est à la hauteur de l’effort. Ce ne sont pas seulement les paysages grandioses du Piémont ou les villes-bijoux de Lombardie. La vraie nourriture, ce sont ces rencontres fugaces, intenses. Un mot échangé, un encouragement qui se termine en accolade fraternelle. En Italie, le cycliste solitaire n’est pas un simple touriste, il est le dépositaire d’une forme de courage qui force le respect et suscite une chaleur humaine immédiate. Chaque café, chaque gelato, devient alors plus qu’une pause : une communion.

Et puis, il y a Venise. L’arrivée. L’effondrement. Pas de cri de victoire, mais des larmes. Celles de l’épuisement, bien sûr, mais surtout celles de l’accomplissement. « Ça y est, j’ai réussi. » Une phrase qu’il semble se dire à lui-même, encore incrédule.

Pourtant, pour Patrick, l’histoire ne s’arrête pas là. Car, et c’est peut-être la plus grande leçon de son périple, « le voyage n’est complet que si l’on fait le chemin du retour ». Revenir n’est pas une simple formalité, c’est l’acte qui ancre la transformation. C’est affronter la nostalgie de ce qui vient d’être vécu, le poids de la distance à parcourir à nouveau, mais cette fois, avec le souvenir en plus. C’est l’épreuve finale du pèlerin.

De ce périple de près de 2000 kilomètres, Patrick Faure n’est pas revenu avec des muscles d’acier, mais avec une forme de densité nouvelle. Ses amis l’ont trouvé « détendu », apaisé. Lui-même a simplement renoué avec une vérité essentielle : le voyage n’est pas une destination à atteindre, mais un état de présence au monde. Une manière de laisser la vie se déployer, à son propre rythme, un coup de pédale après l’autre.

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    Patrick Faure : leçons d’un voyage à vélo jusqu’à Venise Mathieu ROMAIN


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